Faire un budget du phosphore et de l’azote en appliquant le fumier
Centre d’agriculture biologique du Canada
L’un des grands défis que doit relever le nombre grandissant d’agriculteurs biologiques est de pouvoir fertiliser efficacement les cultures sans avoir recours aux engrais conventionnels.
En général, en plus des engrais verts et des amendements autorisés, les opérateurs biologiques utilisent du fumier pour combler les besoins nutritifs d’une culture. Les chercheurs découvrent cependant que les fumiers ne sont pas tous égaux. Diverses variables, telles le type d’animaux et de fumier et les conditions environnementales, interagissent de façon souvent imprévisible et influencent la capacité particulière du produit final à suppléer de l’azote et du phosphore.
“C’est un système complexe”, acquiesce Jim Miller au cours d’un entretien téléphonique. « C’est comme ça que la nature travaille ».
Jim, un chercheur d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, a consacré un temps considérable à étudier ces interactions particulières. Pendant 9 ans, il a surveillé avec ses collègues de recherche à Lethbridge, en Alberta, les niveaux d’azote et de phosphore du sol dans un champ d’orge amendé annuellement avec diverses combinaisons de fumier et de litière et ce, à trois taux croissants d’application de 13, 39 et 77 mg par hectare. Les résultats, «  », ont été publiés dans le Canadian Journal of Soil Science.
En ce qui concerne la libération d’azote, « la paille (litière) est définitivement meilleure que les copeaux de bois » lorsqu’elle est présente dans du fumier frais ou composté et ce, aux trois taux d’application.
Les sols amendés avec du fumier frais contenant de la litière de paille affichent les plus hautes concentrations de nitrates. Bien que l’azote sous forme de nitrate soit vital pour la croissance des plantes, il y a toujours un potentiel d’accumulation à des taux qui excéderaient ce qui recommandé. De fait, en 2004, les taux de nitrate dans les sols amendés aux taux d’application les plus élevés avec du fumier frais combiné à la litière de paille étaient 15 fois plus élevés que les limites décrétées par le gouvernement de l’Alberta.
Les séquelles d’un taux excessif de nitrate incluent le lessivage des sources d’eau souterraine. De plus, les nitrates du sol ont aussi le potentiel de se convertir en oxyde nitreux, un gaz à effet de serre connu.
Contrairement aux données recueillies sur l’azote, l’étude a établi que le relâchement du phosphore était similaire pour les fumiers frais ou compostés combinés à de la litière de paille ou de copeaux de bois. Comme l’azote, cependant, le phosphore continue à s’accumuler dans le sol avec les taux d’application qui vont s’accroissant. L’étude a démontré qu’après seulement deux années d’applications aux taux les plus élevés, le phosphore disponible dans le sol excédait par 20 fois le seuil agronomique maximal décrété par le gouvernement de l’Alberta. Le problème qui en résulte est le ruissellement du phosphore vers les eaux de surface. Le ruissellement du phosphore est lié à l’eutrophisation des océans, des lacs et des eaux courantes.
Alors, que doit faire l’agriculteur?
Du point de vue agronomique, “vous devez établir votre objectif » souligne Jim.
Pour un agriculteur, cela implique d’identifier les éléments nutritifs présents dans le sol, de même que les besoins agronomiques liés à la culture. En d’autres mots, « il y a un besoin accru de procéder à un budget du sol plutôt qu’à un simple test du sol » dit Jim. Un plan de gestion des éléments nutritifs décrit les besoins nutritifs de chaque culture. Dans l’étude, les taux d’application du fumier étaient les mêmes, année après année, en ne tenant aucunement compte des besoins nutritifs. Il en a résulté des taux excessifs d’éléments nutritifs sur un laps de temps relativement court.
L’étude indique aussi qu’il est préférable que les opérateurs biologiques appliquent des combinaisons fumier-litière basées sur un budget du phosphore plutôt que sur un budget d’azote. Un budget visant à combler les besoins de la culture en phosphore avec du fumier peut entraîner un déficit en azote, mais les légumineuses cultivées en rotation peuvent compenser. Un budget visant à fournir tout l’azote aux cultures avec le fumier entrainera inévitablement des excédents de phosphore dans le sol.
Jim souligne également que les agriculteurs peuvent viser d’autres objectifs lorsqu’ils évaluent la meilleure combinaison fumier-litière. Plusieurs études ont démontré que les mélanges de litière avec copeaux de bois aident à garder le bétail plus propre. Les agriculteurs biologiques, dont les opérations sont mixtes et qui sont soucieux des problèmes de santé et d’hygiène, peuvent considérer que cet élément importe davantage que la légère réduction de l’azote disponible pour les plantes.
Quel que soit le choix de l’agriculteur, il est clair que tout mélange de fumier présentera des avantages et des désavantages.
“Un lunch gratuit, ça n’existe pas, car l’azote et le phosphore ne peuvent qu’être redistribués ou transformés à l’intérieur de l’écosystème et les éléments nutritifs ne peuvent pas être détruits » admet Jim.
La bonne nouvelle, c’est qu’avec ses collègues de recherche il continuera à étudier les effets de l’utilisation à long terme du fumier sur les sols agricoles et, plus important encore, sur l’environnement. Les résultats affecteront autant les agriculteurs que l’ensemble des Canadiens.
Rédigé par Tanya Brouwers pour le CABC. Pour davantage d’information: 902-893-7256 ou oacc@dal.ca.